L’ABOLITION
DE LA CHASSE AU GRIZZLI EN COLOMBIE-BRITANNIQUE
Le 17 juin 2008 Par Valerius Geist, professeur émérite en science de l’environnement à l’université de Calgary, courriel : kendulf@shaw.ca Les pressions qui sont faites
pour qu’on retire le grizzli de la liste des animaux-gibiers, et
donc qu’on en interdise la chasse, sont alarmantes. Même si
elles découlent de bonnes intentions, elles ne vont malheureusement
pas améliorer le sort de l’ours brun, bien au contraire. Comme dans les parcs nationaux, où le grizzli jouit d’une protection de pure forme, on continuera de tuer discrètement les ours, par simple souci pour la sécurité des touristes. C’est d’ailleurs pour cette raison que les deux endroits où il se tue le plus de grizzlis en Amérique du Nord sont Lake Louise et Banff. (Nielsen, S. E., S. Herrero, M. S. Boyce, R. D. Mace, B. Benn, M. L. Gibeau et S. Jevons, « Modeling the spatial distribution of human caused grizzly bear mortalities in the Central Rockies Ecosystem of Canada, dans Biological Conservation, 2004, 120 :101-113.). Dans les années 1950, on avait adopté pour politique de se débarrasser des ours noirs devenus trop familiers dans les parcs de l’Ouest. On m’a confié que quelque 256 ours noirs avaient ainsi été tués. Les parcs nationaux, contrairement aux services de la faune, n’ont pas de comptes à rendre à la population. Les ours noirs sont devenus très rares maintenant dans les parcs nationaux de Banff et de Jasper, où leurs apparitions constituent un véritable événement. Bref, cesser de chasser le grizzli équivaudrait à ne plus se soucier du sort de cet animal. Ne serait-il pas protégé, après tout? Les guides et les pourvoyeurs garantissent actuellement une certaine protection aux ursidés, car ils représentent une partie de leur gagne-pain. La population étant rassurée à l’idée que les grizzlis ne courent plus aucun risque en n’étant plus chassés, et le personnel d’application de loi n’ayant plus à protéger ces grosses bêtes, le grizzli, partout dans l’arrière-pays, devient de la vermine aux yeux des prospecteurs, des pourvoyeurs et des trappeurs, qui n’hésiteront pas à l’abattre et à le laisser sur place s’il se met à faire du grabuge. Un professeur de géologie m’a même expliqué comment on appâte des bâtons de dynamite pour faire exploser la tête des grizzlis devenus nuisibles. « Je déteste ces bêtes », a-t-il ajouté. Je m’intéresse moi-même depuis assez longtemps à la question pour savoir qu’il n’est pas le seul à entretenir ce sentiment. Et il y a le problème des randonneurs pédestres. Quand j’ai entrepris ma carrière de biologiste au parc provincial de Wells Gray, en Colombie-Britannique, en 1959, on trouvait plein d’ours et d’autres animaux sauvages dans le parc. Les premiers étaient ceux qui savaient le mieux se comporter. Même durant la saison de chasse, personne ne les chassait. Le seul grizzli à avoir été tué, à ma connaissance, avait été commandé par le Musée provincial de Victoria (au point de rencontre des lacs Clearwater et Azure). On pouvait camper en toute sécurité n’importe où. Moi-même, je passais des mois sous la tente en pleine forêt et les quelques grizzlis que j’ai croisés se sont enfuis, même une mère et ses deux petits, qui s’étaient retrouvés à sept pas seulement de moi. À Banff, je n’aurais pas survécu à une telle rencontre! La différence, c’est qu’il n’y avait pratiquement jamais de randonneurs pédestres. Les humains qui parcouraient l’arrière-pays, c’est-à-dire les chasseurs, les pourvoyeurs, les trappeurs et les biologistes, étaient généralement armés. Or, des humains armés respirent la confiance et ne sont pas vraiment effrayés par les ours, et ceux-ci le sentent très rapidement. Les randonneurs, qui se baladent dans la nature sans armes, ne sont pas aussi confiants en présence de bêtes sauvages. Les ours ont tôt fait de flairer leur inquiétude. Ils vont peut-être alors devenir plus entreprenants et causer des problèmes. Résultat, on tentera de s’en débarrasser discrètement. Mais, traqués par une horde de chasseurs qui ne savent trop ce qu’ils font, les ours réussissent à adapter leur comportement et à survivre. Les ursidés, surtout les ours noirs, sont des créatures extrêmement intelligentes et très observatrices qui agissent avec une logique implacable, en tirant leçon de leurs expériences. Je vous épargnerai certains détails techniques découlant de l’étude du comportement animal, mais il y a encore beaucoup à dire sur le sujet et il me fera plaisir de répondre à vos questions. Je vous soumets maintenant un extrait d’un texte sur l’habituation des animaux sauvages à l’homme que je n’ai pas pu terminer, pour des raisons personnelles, ce que je ferai cependant dans un proche avenir en vue de sa publication, mais que j’ai néanmoins présenté à un colloque intitulé « Wildlife Habituation : Advances in Understanding and Management Application », organisé par la Wildlife Society à Madison, Wisconsin, le 27 septembre 2005. Comment éliminer les ours des parcs nationaux par la photographie Il est généralement admis que l’ours est attiré par la nourriture consommée par l’homme et que, pour notre propre sécurité, il est préférable de se tenir à bonne distance du garde-manger de cette grosse bête. Il est plus sûr également de manifester sa présence à l’ours et d’éviter les rencontres fortuites. C’est vrai, mais il ne suffit pas de savoir cela pour comprendre le comportement des ours, et il est faux de penser qu’il n’y a pas de mal à aller observer et même à photographier des ours qui ne se soucient pas de la présence des humains. Cela engendre un faux sentiment de sécurité qui, s’exprimant par une attitude impudente à l’égard des ours, protège ironiquement la personne contre les attaques, du moins temporairement. Le problème, en agissant ainsi, c’est qu’on finit sans le vouloir par habituer l’ours à l’homme, et l’amener à s’aventurer dans le voisinage des humains et de leurs lieux d’habitation. L’ours qui agit ainsi devient alors une nuisance dont les parcs nationaux doivent se débarrasser pour assurer la sécurité des visiteurs. C’est ce qui explique que les localités de Lake Louise et de Banff soient les deux endroits où il se tue le plus de grizzlis sur le continent (Nielsen et coll., 2004) et que l’ours noir soit devenu aussi rare dans les parcs. Si les choses ne se replacent pas, les parcs nationaux pourraient bien devenir, sans qu’on le veuille, un véritable cimetière pour les ours. Imaginons le scénario suivant. Un jeune ours ayant élu domicile dans un parc national est capté en images par des photographes amateurs et professionnels. Au début, comme on peut s’y attendre, il s’enfuit à l’approche des gens. Puis, ayant trouvé un beau carré de jeunes prèles digestibles ou surpris en train de se nourrir dans un pré alpin ou au pied d’une pente avalancheuse, il hésite en premier à fuir les humains qui envahissent son territoire, mais finit par détaler. Mais à mesure que les contacts se multiplient, il commence à se faire à la présence des humains. Il commence à s’apprivoiser et devient un attrait pour les photographes et les équipes de tournage, ainsi que pour les tourismes armés de leur appareil-photo ou de leur caméscope. Notre ours est maintenant habitué
à la présence des humains, mais il évite encore les
incursions trop audacieuses dans leur entourage. Dans la société
des ours, l’audace est l’apanage des individus dominants.
L’ours qui n’a plus peur de l’homme éprouve un
intérêt vorace pour les hommes et, un jour, il satisfera
son intérêt à sa manière. Tout animal familier
passera par ce stade d’exploration, à moins qu’on le
conditionne à agir autrement. Les ours vivant dans le voisinage
de l’homme vont habituellement commencer par s’aventurer sur
les terrains de camping et dans les terrains de stationnement, et se nourrir
des animaux tués sur la route, et par défendre son nouveau
territoire. Ils deviennent dès lors des animaux nuisibles et, même
s’ils ne se sont pas encore attaqués à l’homme,
leur sort est scellé. Un ours bien repu, par exemple pendant la montaison du saumon, peut rester relativement amical pendant un bon moment et tolérer les humains qui se montrent trop audacieux et leurs provocations. Sauf que, comme tout autre animal carnivore, il va vouloir vérifier un jour si cette étrange créature est comestible. Et c’est à ce moment qu’il s’en prend à l’homme. Ces attaques de la part d’un carnivore en mal d’expériences sont à la fois soudaines et imprévisibles. Parfois, l’ours va se contenter de menacer, en martelant le sol de ses grosses pattes. Un ours chanceux se fera arroser de poivre de cayenne et n’essaiera plus jamais de se mesurer à l’homme, ce qui lui sauvera la vie. Il arrive qu’un ours soit carrément effrayé par le comportement agressif d’un humain et qu’il préfère prendre la fuite. Cela peut l’empêcher pendant un certain temps d’essayer de satisfaire sa curiosité. Malheureusement, les ours ont des exigences métaboliques cycliques qui modifient leur comportement. En septembre, l’ours ne se comporte pas de la même manière qu’en avril. Il est alors en période d’engraissement et d’hyperphagie. Il a besoin de se faire des réserves de graisse pour l’hiver. Il devient alors extrêmement affamé et commence à perdre ses inhibitions quand il n’y a pas suffisamment de nourriture autour. Un ours bien nourri n’est généralement pas dangereux, mais attention aux ours affamés! Vers la fin août et pendant les mois de septembre et d’octobre, les ours sont très affamés, et bénis soient les endroits où abondent le saumon venu pour le frai, les petits fruits, les caribous ou les orignaux bien dodus, les baleines échouées sur les plages ou autres sources de nourriture. Et gare aux ours lorsque les pêcheurs commerciaux épuisent les réserves de saumon, car, conduits par la faim et le désespoir, ils s’approcheront dangereusement des zones habitées, forçant les résidents à les abattre. Ce genre de situation est survenu en Colombie-Britannique. Les ours n’ont pas droit à un quota de saumon de la part du gouvernement fédéral. On peut facilement se laisser berner par le comportement extrêmement tolérant à l’égard des humains d’un ours qui a de quoi manger à sa faim, mais le même ours, en période d’hyperphagie, pourrait très bien s’attaquer à l’homme en prédateur. Curieusement, c’est le rapprochement entre l’homme et la bête qui aura mené à un tel résultat. Il est heureux que l’ours soit aussi hésitant à s’approcher des humains et qu’il préfère garder ses distances, à moins qu’on le dérange constamment pour l’observer ou le photographier. En théorie, on pourrait atténuer les problèmes causés par les gens qui traquent les ours pour les photographier en aménageant des lieux d’observation, tels que des plateformes ou des chemins, d’où ils pourront prendre leurs photos. En les laissant en paix et en n’empiétant pas sur leur territoire, on laissera les ours s’habituer tranquillement à notre présence. Cela ne les empêchera pas de vouloir un jour explorer le voisinage des humains, surtout s’ils sont attirés par l’odeur de la nourriture. Et à force d’être en contact avec les humains, ils finiront par vouloir les explorer eux aussi de plus près, d’où la nécessité de les conditionner dans l’autre sens, et le plus tôt sera le mieux. The English version of this article can be found by clicking here. |